50 ans au LOSC : Les 7 vies de Patrick Robert
PAR MAXIME POUSSET
50 ans sous le même maillot, le LOSC dans la peau. Jamais dans l’histoire du club un personnage n’avait connu telle longévité. Mais qui est Patrick Robert, ce Dogue de la première heure, connu, reconnu et apprécié de tous, Président du LOSC Association, des Féminines, des Anciens Dogues, mais aussi historien, collectionneur, écrivain ? Voici son histoire, pleine d’émotions, de souvenirs et d’anecdotes. Celle d’un homme passionné et passionnant, aux multiples facettes et à la culture débordante. Avant un LOSC-Metz en marge duquel il sera mis à l’honneur, ce dimanche, retraçons son parcours cousu d’un fil rouge LOSC.
À lire aussi : Patrick Robert au LOSC, c'est...
1959 : Un coup de foudre devenu passion
C’est l’histoire d’un coup de cœur, d’un béguin soudain, d’un amour naissant, puissant, semblable à celui que portent des milliers d’enfants pour le ballon rond et la magie qui l’entoure. « J’ai toujours aimé le foot. Comme tous les jeunes garçons de mon âge, ça a commencé par des matchs dans la cour de récré. C’était l’époque du grand Stade de Reims. Moi j’étais Piantoni, car j’étais gaucher. Mais je suivais tout ça de très loin, ayant grandi dans une famille qui ne s’intéressait pas vraiment au foot. » Nous sommes en septembre 1959, le jeune Patrick Robert n’a que 12 ans et il ne le sait pas encore, mais ce qu’il va découvrir ce jour-là va donner le « la » de sa carrière, de sa passion, de sa vie d’homme, en somme. « Un jour, le jeune frère de mon futur beau-frère, qui était junior au LOSC, m’a emmené sur la selle biplace de sa mobylette bleue. Direction Henri-Jooris pour voir un Lille-Nantes en D2. Et là, c’est le flash : les couleurs, l’ambiance, la pelouse, les joueurs en vrai… Je suis littéralement tombé amoureux du LOSC. Dès lors, je n’ai plus raté un match. J’allais au stade tout seul depuis chez moi à Saint-André, en traversant le bois de Boulogne. J’étais vraiment accro. »
Le LOSC évolue alors en deuxième division, accueille les Forbach, Béziers et autre Marignane devant 800 personnes dans un stade Henri-Jooris forcément mélancolique des glorieuses années d’après-guerre et des héros qui hier encore faisaient de Lille la place forte du football français. Mais qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse. Et quand on a douze ans, la magie opère malgré tout sur celui qui, année après année transforme son coup de foudre en passion. « J’avais une collection d’autographes, que j’ai toujours, d’ailleurs. Un jour, après un match de gala contre le grand Stade de Reims, je suis monté dans le bus des Rémois pour les faire signer… Le bus est parti. Je me suis alors assis sans rien dire à côté d’Albert Batteux qui m’a dit « mais qu’est-ce que tu fais-là, petit ? ». Ils ont fini par me déposer à Arras. Ce sont les policiers qui m’ont ramené chez moi à Saint-André… »
1970 : Une passion devenue ambition
Très vite, le jeune Andrésien se prend d’affection pour le journalisme sportif, bien que non bachelier. Il n’a ainsi pas pu accéder aux études menant à sa profession rêvée. « J’ai perdu mon papa assez jeune. J’ai donc dû arrêter l’école après le Certificat pour travailler. » Mais qu’importe, l’écriture est (et restera) accessible à tous, si bien que le jeune Patrick n’hésite pas à aiguiser sa plume au bord des terrains. « J’allais voir les joueurs à l’entraînement, je connaissais toutes les petites histoires de la vie du groupe. Je discutais avec eux, je faisais des interviews, ils me testaient sur ma culture foot. Bref, on devenait copains. Ce qui m’intéressait, c’était ça, ce qu’on n’appelait pas encore la communication ».
Mais son entrée au LOSC, l’ex-numéro 10 de l’US Marquette (« assez technique, mais qui n’aimait pas trop courir ») ne la doit paradoxalement pas au football, mais… à la musique, lui le guitariste passionné de rock et dont le groupe de l’époque (Onward) commençait à jouir d’une flatteuse réputation dans la région. En 1969, le LOSC abandonne le professionnalisme. Un traumatisme pour beaucoup de supporters dont le futur président, Max Pommerolle, qui crée l’opération « renouveau du LOSC » pour sauver le club. Ce dernier organise des matchs amicaux de prestige, des animations musicales, « des podiums avec des vedettes » (sic) dans les quartiers, pour finir par un festival de pop-rock sur une Grand Place de Lille noire de monde. C’est là, au pied de la statue de la Déesse que le destin offre à Patrick Robert un premier virage. « J’avais 23 ans et mon groupe était invité à jouer. En descendant de scène, on me présente ce monsieur avec ses petites lunettes. C’était Max Pommerolle, qui savait que j’étais supporter et qui me propose d’intégrer bénévolement la "commission de propagande" qu’il venait de créer. (il sourit) C’est vrai que le nom est un peu Stalinien. Il s’agissait de recruter de jeunes supporters dynamiques pour trouver des idées autour du LOSC. J’accepte avec grand plaisir et je commence à écrire dans le journal du LOSC. » Nous sommes en 1970 et en entrant au LOSC, ce jeune homme plein de passion et de candeur vient d’ouvrir (sans le savoir) le plus long chapitre de sa vie de Dogue, dont on fête aujourd’hui le cinquantième anniversaire.
1975 : Une ambition devenue métier
Pendant qu’il donne de son temps et de son énergie pour le club de son cœur en tant que bénévole, Patrick Robert travaille depuis l’âge de 15 ans à la Générale de Chauffe, l’ancêtre de Dalkia. Employé de bureau, aide-comptable, comptable, chef de groupe : il gagne ses galons dans l’entreprise, « mais bon, ce n’est pas passionnant, quoi… » Là encore, c’est à la musique qu’il doit une nouvelle opportunité, celle de pratiquer ce qui deviendra son « vrai métier » : les relations publiques. « Un jour, Bernard Lecomte, le Secrétaire Général de l’entreprise (accessoirement futur président du LOSC) et également grand musicien, me demande de créer un orchestre au sein de la Générale de Chauffe. D’un seul coup, je me retrouve à côtoyer deux fois par semaine mon patron que je ne voyais jusqu’alors qu’une fois par an à la Saint-Eloi. Très vite, il tombe sur mes articles dans le journal du LOSC et me dit : "Tu n’as rien à faire à la direction financière. Je te transfère aux relations publiques". »
En 1979 à Grimonprez-Jooris avec son idole, Jean Baratte
Et le LOSC dans tout ça ? Il n’est jamais loin. Pendant qu’il développe le journal d’entreprise de la Générale de Chauffe, Patrick Robert reçoit en 1986 un appel de Jacques Amyot, alors Président du LOSC. « Il m’a annoncé qu’il avait l’intention de créer un poste à temps plein pour les relations publiques et qu’il voulait me le proposer. J’ai accepté sur le champ malgré les risques, car je quittais un CDI pour un contrat d’un an. Mais j’étais le plus heureux du monde. Je pense même que j’ai ressenti là ma plus grosse émotion sur ces 50 ans. J’étais supporter, bénévole et d’un coup d’un seul, on me permettait de gagner ma vie avec ma passion. Je me souviens que quand j’ai quitté son bureau, je courais partout, j’étais fou de joie ! »
Sauf qu’en 1986, dans ce club qui ne compte alors que six employés administratifs, il y a du pain sur la planche. Et pas qu’un peu. « Le LOSC était une entreprise gérée par la municipalité, il n’y avait pas beaucoup de moyens. Le Président me disait : "ton salaire est de tant. Il faut que tu me ramènes plus chaque mois pour pouvoir te payer". Alors j’ai remonté mes manches et j’ai réfléchi, j’ai travaillé. J’ai créé les VIP, les loges, un restaurant à la place du foyer du centre de formation, à Grimonprez-Jooris. »
7 mars 1987 : Jacques Delors et Pierre Mauroy en pleine partie de baby-foot, sous les yeux de Patrick Robert
1990 : Le vrai faux départ chez le rival
Dans les années 90, le LOSC est en pleine instabilité institutionnelle. Les Présidents se succèdent. Le dernier arrivé, Paul Besson, veut tout changer. « Je n’ai pas souhaité rester dans ces conditions et j’ai décidé de partir. (il prend un ton plus grave) Le tout jeune président lensois, Gervais Martel, que je connaissais puisque je lui avais fait visiter nos loges et salons VIP me propose de le rejoindre au RCL. Bien que je sois profondément supporter du LOSC, j’étais dans la peau d’un professionnel. Il me propose un contrat, je l’accepte. Je suis parti à Lens et ça, les supporters lillois me le rappellent encore souvent aujourd’hui (sourire). Mais je n’ai jamais arrêté ma licence au LOSC, si bien que dans les faits, je ne suis en fait jamais vraiment parti. »
Dans le bassin minier, l’homme à la moustache pose les bases des salons VIP du club Sang et Or, mais le fonctionnement n’est pas simple. « L’organisation était une usine à gaz. Il y avait beaucoup de monde. Les gens étaient de bonne volonté, mais c’était compliqué, dans un contexte ou là encore, c’était la mairie qui possédait le club. Après trois mois, je suis allé voir Gervais pour lui dire que je ne me sentais pas à ma place. Je lui disais : "tu sais, le soir quand je rentre et que je passe Seclin, je me sens chez moi, je retrouve la maison". Et ça, c’est du vécu, on ne peut pas le percevoir avant de le vivre. »
En 1987 à Grimonprez-Jooris aux côtés du tout jeune Bernard Lama
1991 : Direction l’Angleterre… Mais le LOSC n’est jamais loin
« Je décide alors de créer ma première boîte, dans la régie publicitaire, mais très vite, j’abandonne pour un autre projet dans l’événementiel sportif qui consistait à faire vivre aux entreprises de grands événements, notamment dans le football, en Espagne, en Italie, mais surtout en Angleterre, un pays pour lequel je suis passionné depuis mes 18 ans et mon premier voyage à Londres. Je m’en souviens : en un week-end, j’ai vu les Who en concert puis un match de Tottehnam à White Hart Lane. »
C’est ici l’une des nombreuses facettes de ce multiple passionné intensément anglophile, aujourd’hui encore conférencier sur les grands personnages de l’histoire britannique (Churchill, les reines Victoria et Elisabeth…) et qui est également à l’origine d’une dizaine de jumelages entre villes du Nord et du Kent, une région pour laquelle il porte une tendresse particulière. « J’ai vraiment fait de l’Angleterre un axe de mes activités professionnelles. Quand j’arrive à Londres, je me sens comme à la maison », résume cet érudit, véritable puits de culture anglaise, qu’il s’agisse d’Histoire, de football, de musique, mais aussi de biérologie au Royaume de Sa Majesté… Sans oublier le LOSC, évidemment, puisqu’il a tissé des liens informels entre le club lillois et le Gillingham FC (League One, D3) via de nombreux échanges entre éducateurs des centres formations respectifs et matchs amicaux entre équipes jeunes et féminines des deux clubs.
Le monde est décidément tout petit. Saison 1994-1995, le nouveau président du LOSC se nomme Bernard Lecomte, une vieille connaissance de la Générale de Chauffe, lequel ne tarde pas à réparer ce détail de l’Histoire en rappelant notre homme au LOSC, à la place qui aurait dû toujours être la sienne. À la demande du Président du LOSC Association de l’époque, Jean-Charles Canonne, Patrick Robert intègre alors le Conseil d’Administration du LOSC Association. Il participe notamment à la création du réseau des clubs partenaires, puis en 2003, est élu à la Présidence de cette structure socle du LOSC, qui détient le numéro d’affiliation à la FFF et qui regroupe toutes les activités liées au centre de préformation, de formation, en passant par les féminines du club aux quatre lettres.
Automne 1994, le LOSC fête ses 50 ans. Pour l'occasion, les glorieux anciens Dogues posent, fiers, à côté de la Coupe de France qu'ils ont jadis remporté.
2015 : Un formidable projet : LOSC Féminines
« Un jour, alors que je suis en vacances dans le Var, Michel Seydoux m’appelle pour me dire de remonter car on signe le lendemain avec le club de Templemars qui devient alors LOSC Féminines. » 130 licenciées supplémentaires, un budget d’équilibre et l’objectif (accompli en 2017) de monter en D1 (bien que le LOSC ait retrouvé la deuxième division depuis 2019). « Gérard Lopez a poursuivi ce beau projet initié par Michel Seydoux et l’a abordé de façon très positive. Le football féminin est en plein essor. Je viens d’ailleurs d’intégrer le bureau de l’Association du Football Professionnel Féminin (AFPF) créé par Laurent Nicollin avec l’objectif de professionnaliser le football féminin. Nous menons de nombreux combats en faveur du statut des joueuses, des droits TV. J’ai vraiment pour ambition de voir notre section retrouver l’élite et de s’y pérenniser. »
Les Anciens Dogues, le trait d’union avec l’Histoire
Des casquettes, Patrick Robert n’en manque pas, surtout quand il s’agit de promouvoir le glorieux passé d’un club à l’Histoire riche. « De par ma mentalité d’historien, je suis très fier d’être également le Président des Anciens Dogues depuis 2012. Nous avons réussi à créer, avec le soutien de la SASP LOSC, une vraie association avec des moyens qui nous permettent aujourd’hui de nous déplacer comme les pros, mais aussi d’accueillir à chaque match au Stade Pierre Mauroy une quarantaine d’anciens joueurs dans une loge dédiée. » Mais au fond, ça représente quoi, 50 ans de présence au sein de l’Institution Dogue ? Des souvenirs, des émotions, une passion, celle d’un homme profondément attaché à son club, mais aussi à sa région, à sa culture et qui a toujours œuvré pour sa promotion. Cela représente aussi des livres, autant de manuels d’Histoire, lui qui en a déjà rédigé 21, dont 8 sur le LOSC et qui travaille déjà sur de beaux projets futurs, notamment les 80 ans du LOSC en 2024.
« J'achèverai mon dernier mandat de Président de LOSC Association en juin 2023. D'ici là, outre l’objectif d’asseoir l'équipe féminine à un bon niveau, j'aimerais brandir une fois dans ma vie la Coupe Gambardella (difficile !) et jeter les bases d'un Musée du LOSC avec mon vieil ami Jacques Verhaeghe. » Ce long parcours n'aurait pas été rendu possible sans sa femme Lucette, épousée en 1972, alors que Patrick était déjà au LOSC. Elle fut d'ailleurs quelque temps speakerine au Stade Henri-Jooris. Au fil des ans, elle est devenue accro aux résultats du LOSC et ne raterait pour rien au monde (sauf pour les vacances !), un match à "Pierre Mauroy".
2006 : Aux côtés de Michel Seydoux au Domaine de Luchin
2017 : Le début d’une nouvelle ère avec Gérard Lopez
« J’avais 23 ans, j’en ai 73 aujourd’hui. J’ai toujours estimé que tant que les choses étaient faites dans le sens du club, je resterais. En 2017, j’ai par exemple eu plaisir à faire la connaissance de Gérard Lopez, un grand passionné et connaisseur de football en même temps que quelqu’un de très agréable et humain. Son arrivée a fait entrer le LOSC dans une nouvelle ère, avec de nouveaux moyens, de nouvelles ambitions et une nouvelle stratégie qui tire tout le club vers le haut. Même le centre de formation dispose de davantage de moyens. Si les visages ont parfois changé, la compétence et la motivation sont les mêmes. Dans ce cadre, je fais un peu figure de "patriarche", mais je suis heureux de m’adapter et d’accompagner le mouvement tout en veillant à ce que les valeurs loscistes perdurent. Aujourd’hui, Gérard Lopez porte un grand et beau projet, celui de faire de Lille un club à dimension européenne. Après avoir vécu quinze ans de complicité avec Michel Seydoux, je suis à ses côtés dans cet objectif, tout en continuant de faire battre le cœur du LOSC à travers l’association. »
« On dit souvent du football qu’il est le reflet de notre société. Et je pense qu’il est parfois nécessaire de regarder derrière nous pour comprendre comment ça se passait avant, comment nous en sommes arrivés là. Car le LOSC, c’est avant tout une histoire d’hommes qui, tour à tour ont mis leur pierre à cet édifice et qui ensemble ont bâti ce club magnifique. »