​Brestois puis Lillois. Au bon souvenir de Steeve Elana

PAR MAXIME POUSSET

Brest-Lille, deux chapitres importants dans la longue carrière de Steeve Elana (41 ans). Avant le duel entre ses deux anciens clubs, l’ancien portier des Dogues (2012-2016) – qui sera présent au Stade Pierre Mauroy, ce samedi (21h) – s’est longuement confié à travers un entretien plein de sincérité et d’authenticité.

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Tu as joué 246 matchs sous le maillot brestois, connu une montée en Ligue 1 avant de t’imposer comme l’un des meilleurs gardiens du championnat. On imagine que tu gardes un attachement particulier à ce club…

Exactement. C’est un endroit, une ville où je reviens souvent saluer les gens. J’y ai toujours des attaches, des amis, d’anciens coéquipiers en poste au club. J’ai joué sept saisons à Brest (dont deux en Ligue 1). Quand j’analysais ma carrière dans sa globalité, j’ai toujours su que si je voulais un jour connaître la Ligue 1, il fallait que je monte avec mon club. C’est ce que j’ai vécu à Brest, dans un groupe très soudé, composé de joueurs revanchards. Nous étions tous heureux de la réussite du copain, sans ego trip. Je n’ai jamais voulu dissocier mes succès individuels de la réussite collective, même quand j’ai été mis en lumière à travers ce record d’invincibilité qui se rapprochait.



Ce record justement, parlons-en. Entre le 12 septembre et le 7 novembre 2010, tu passes 8 matchs sans encaisser le moindre but, dans une équipe brestoise alors leader de Ligue 1.

Oui, et c’est le LOSC, par l’intermédiaire de mon ami Moussa Sow, qui est venu mettre fin à cette série (ndlr : soit 832 minutes d’invincibilité. Une performance jusqu’alors réalisée à seulement cinq reprises dans l’histoire du football français). Ce soir-là, Lille nous était vraiment supérieur. Eden (Hazard) nous avait fait des misères. On était tombés sur plus fort que nous, tout simplement. On s’est tous dit que les Lillois termineraient sur le podium. Ils ont finalement été sacrés champions en fin de saison.



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En 2012, tu as 31 ans, tu es en fin de contrat à Brest et tu rejoins le LOSC comme doublure de Mickaël Landreau. Pourquoi ce choix alors que tu aurais certainement pu être titulaire ailleurs ?

D’abord parce qu’il n’y avait pas tant de clubs que ça qui me proposaient le poste du numéro 1. Il n’y en avait qu’un seul, en Turquie, que je n’ai pas souhaité rejoindre. En France, les deux seuls avec lesquels les contacts étaient vraiment établis étaient le LOSC et l’OM, pour un statut de numéro 2. Pourquoi le Lille alors que j’aurais pu rejoindre Marseille, mon club formateur ? D’abord parce qu’il y avait Nolan (Roux) de qui j’étais proche depuis mes années brestois. Je connaissais aussi un peu Micka (Landreau), Dim (Payet), Rio (Mavuba) que j’avais d’ailleurs eu au téléphone avant ma venue. Et puis Rudi Garcia m’avait aussi appelé pour me présenter le projet sportif.

 

« Disputer la Champions League, c’est vraiment quelque chose qui marque une carrière »



Tu intègres alors un club lillois en pleine croissance, qualifié pour la Champions League et qui entre dans son nouveau "Grand Stade". On peut dire que tu franchis un vrai palier…

Complètement. J’arrive dans un club où 60 à 70% des joueurs sont internationaux, qui est structurellement assis, qui a su évoluer, se professionnaliser et prendre de l’avance sur beaucoup d’autres en France. Et puis il s’y dégage un côté humain qui m’a beaucoup plu dans les échanges, que ce soit avec le Président Michel Seydoux, mais aussi avec Fred Paquet ou Jean-Michel Vandamme. On sentait une rigueur, des valeurs dans lesquelles je me suis retrouvé.



Tu y découvres l’Europe, la Champions League, toi le gardien dont l’objectif initial était de jouer en Ligue 1. Qu’as-tu ressenti à l’époque ?

On parvient d’abord à se qualifier pour la phase de poules de Champions League contre Copenhague (1-0, 2-0 ap). Quand tu vois le nom de ton club présent au tirage au sort, dans les chapeaux, tu ressens une grande fierté de t’associer à ça. C’était quelque chose de nouveau pour moi : les déplacements européens, toute la logistique, l’organisation derrière… J’ai vraiment vécu ça de l’intérieur avec beaucoup plaisir, sans l’amertume de ne pas être titulaire, même si évidemment j’avais envie de jouer. Mais disons qu’elle ne prenait pas le pas sur la confiance que j’avais dans ce projet. Un jour, à l’avant-veille d’un match, Rudi Garcia me convoque et m’annonce qu’il veut me faire débuter à BATE Borisov (0-2, 20/11/12), moi qui n’avais alors joué qu’un match en Coupe de la Ligue (LOSC-Toulouse, 1-0 ap, 30/10/12). J’étais vraiment très heureux. Disputer la Champions League, c’est vraiment quelque chose qui marque une carrière.



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Et puis vient ce 6 décembre 2012. À la surprise générale, Mickaël Landreau décide de quitter le LOSC. Tu te retrouves alors propulsé titulaire du jour au lendemain…

J’étais très, très surpris. C’est vraiment quelque chose d’inédit. Aujourd’hui encore, je n’ai pas souvenir d’un pareil cas dans le football. Rudi m’a alors intronisé numéro 1. À titre sportif, c’était évidemment une bonne chose pour moi, mais il faut analyser la situation dans sa globalité, dans son contexte. Micka a marqué l’Histoire du club, ma relation avec lui était bonne. C’était aussi quelqu’un qui était important dans le vestiaire et qui le quittait du jour au lendemain. Pour les joueurs, moi y compris, ça a été un choc. Il a fallu s’adapter.



Comment as-tu assumé ce nouveau statut ?

Je suis quelqu’un de très exigeant envers lui-même. J’étais tellement dans un processus de vouloir que tout soit parfait pour tout le monde que par moment, j’en ai oublié mon propre plaisir. On est quand même dans un club qui se doit d’être dans le haut du classement, qui a un rapport aux résultats différent de ce que j’avais pu vivre par le passé. Je ne suis plus dans mon club familial. J’avais aussi ma propre histoire à écrire avec le LOSC et ce n’est pas spécialement évident quand on rentre dans le truc au mois de décembre, qu’on te donne les clés comme ça, du jour au lendemain. Il a fallu que je m’approprie les objectifs du club, mais avec un statut différent, celui de titulaire. J’ai pris des coups. C’était nouveau, il a fallu apprendre à vivre avec.

« J’ai toujours eu cette exigence envers moi-même, celle de retirer du positif de mes expériences, même dans les moments difficiles »



Des coups, tu en as pris notamment après LOSC-Sochaux (3-3, 26/04/13) où vous menez 3-0 avant de concéder trois buts dans les dix dernières minutes…

(il marque un temps de réflexion) Ça a été compliqué à vivre, parce qu’effectivement, quand on revoit les images, j’encaisse deux buts évitables. Je sentais que quelque chose ne tournait pas rond ce soir-là. Et ça s’est confirmé sur la deuxième période. Je ne sais pas, il y avait une forme de crispation dans l’équipe qui était un peu coupée en deux sur le terrain. Dans ce genre de match, il faut savoir rester concentré sur ce que tu as à faire individuellement et ne pas chercher à régler les problèmes de l’équipe. Sinon, tu perds ton énergie. Ce soir-là, j’en ai fait la douloureuse expérience. Après ce match, j’en prends plein la gueule. J’ai vraiment "mangé".



Le lendemain, Rudi Garcia, furieux, vous convoque dès 7 heures au Domaine de Luchin…

Oui, le lendemain on a cavalé... Mais dès lors qu’on reprend l’entraînement, il faut se remobiliser. Et c’est ce qu’on a fait. Sauf que derrière, on va à Toulouse et on en prend quatre (4-2, 04/05/13). Nous étions une équipe ultra offensive. C’était une posture qu’on assumait. Mais quand on est habité par le jeu, on sait que ça peut aussi s’accompagner parfois de bémols, de contres, de buts encaissés. Je ne me suis pas caché, je n’ai pas cherché à me dédouaner et j’ai assumé ma part de responsabilité individuelle, mais surtout collective. Nous avions l’objectif d’être européens et là, on s’en éloignait. J’ai été mis dans la tourmente.



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Après cette défaite à Toulouse, il reste trois matchs et le staff décide de titulariser Barel Mouko à ta place dans le but. Humainement, comment as-tu vécu ce moment ?

(il réfléchit) Pas bien, mais en même temps, je ne pouvais que l’accepter, je n’avais pas le choix. Ce qui m’a fait mal, c’est que les médias aient occulté ce que j’avais fait de bien et qu’ils aient jeté de l’huile sur le feu dans des articles diffusés en jour de match. Ça c’était dur. Mais ça m’a permis de comprendre que quand on est joueur, on ne peut pas tout maîtriser. Les règles sont ainsi, j’ai fait avec. J’ai essayé d’en ressortir quelque chose de positif, même si sur le moment c’était compliqué. J’ai toujours eu cette exigence envers moi-même, celle de retirer du positif de mes expériences, même dans les moments difficiles, car rien n’arrive jamais par hasard. Heureusement, quand je croise des supporters lillois, ce n’est pas de ces matchs-là dont ils me reparlent en premier…



Quels souvenirs gardent-ils de toi ?

Ils évoquent souvent cette demi-finale de Coupe de la Ligue 2013 contre Saint-Étienne (0-0, 7 tab à 6, 15/01/13). Ce soir-là, nous avons été assiégés. J’avais eu beaucoup de boulot et je l’avais bien fait. On s’incline finalement aux tirs au but. C’est dommage car en cas de victoire, il y avait une finale au bout. Une finale que Saint-Étienne a d’ailleurs gagné face à Rennes (1-0, 20/04/13). Au fond de moi, je suis persuadé que si on y va, on la gagne aussi. Cette saison-là, les Verts ont vraiment été notre bête noire. Ils nous éliminent en Coupe de France (3-2, 26/02/13, 1/8eme de finale), puis en Coupe de la Ligue, avant de nous tenir en échec lors du dernier match de Ligue 1 (1-1, 26/05/13) et nous priver d’une qualification européenne. Ils nous ont tout pris.



L’été suivant, changement de coach. René Girard prend les rênes du LOSC et te met d’abord en concurrence avec Vincent Enyeama pendant la préparation, avant de trancher en sa faveur pour le poste de numéro 1. Une désillusion ?

Oui et non. Ce qui est assez paradoxal, c’est que j’étais censé être en concurrence avec Vincent qui revenait de prêt (ndlr : au Maccabi Tel-Aviv), sauf que les choses se sont tout de suite très, très bien passées entre lui et moi. Nous sommes rapidement devenus amis, nous échangions beaucoup. Je savais que ça allait certainement être compliqué d’être titulaire, mais je l’ai accepté. Le truc que j’ai mal vécu en revanche, c’est que j’avais la possibilité d’être prêté dans deux clubs où on me proposait un statut de numéro 1, mais ça n’a pas été accepté par la direction. On sait que ce métier est fait d’étiquettes. J’avais besoin de vite me dégager de celle qu’on venait de me coller, de rejouer et de redevenir partie prenante d’un projet sportif.



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Avec le recul, que gardes-tu de tes années lilloises ?

J’ai passé quatre saisons au LOSC. J’y ai rencontré des gens extraordinaires, que ce soit sur le terrain, mais aussi en dehors. À cette époque-là, je bossais beaucoup sur mes diplômes de management. Je me suis donc rapproché de pas mal de salariés administratifs qui m’ont vraiment aidé, avec qui je suis toujours en contact et que je n’oublierai jamais. Je retiens donc le positif. Le LOSC est le plus grand club dans lequel j’ai évolué. Je garde toujours un œil sur ses résultats, d’autant qu’il y a certains joueurs que je connais un peu, comme Benjamin André, qui fait partie des meubles de la Ligue 1. J’étais très heureux que le club soit sacré champion de France l’été dernier.



Samedi, le LOSC accueille Brest. Comment le sens-tu, ce match ?

Je serai présent au Stade Pierre Mauroy. Je pense que les Lillois sont intrinsèquement supérieurs aux Brestois, qu’ils ont un effectif plus important. Avec le match européen disputé dans la semaine contre Séville (0-0), il se peut qu’il y ait une part de gestion physique de la part des Lillois s’ils parviennent à marquer rapidement. J’espère simplement assister à un match ouvert. Mon cœur penche des deux côtés.

 


Une carrière pas encore achevée, mais déjà une reconversion

 

À aujourd’hui 41 ans, Steeve Elana sort d’une saison à Martigues (N2) en 2020-2021. S’il n’a pas dit son dernier mot en tant que joueur, l’ancien Dogue a d’ores et déjà activé d’autres projets.



« J’articule ma vie dans le sud-est de la France où j’ai monté une académie de sport-études aux côtés de Ronald Zubar (ex OM). On s’occupe d’une quinzaine d’enfants au quotidien, qui sont scolarisés à l’école internationale d’Aix-en-Provence et à qui on dispense des entrainements collectifs et individuels. C’est un projet que j’ai justement commencé à mûrir en 2014 lorsque j’étais au LOSC. J’ai reçu beaucoup d’aide de la part des salariés administratifs et notamment de Sandrine, que je salue. En ce qui concerne ma carrière de joueur, je n’ai pas encore communiqué sur la suite à donner. Je devais participer à un dernier projet, mais il a pris un peu de retard en raison du Covid-19. Je suis donc dans l’attente. Une chose est sûre, si je reprends du service comme joueur pour dépanner, ce sera dans la région marseillaise, afin que ce soit compatible avec l’académie. »



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Steeve Elana

Né le 11 juillet 1980 à Aubervilliers (93)

Gardien de but

1m87, 85kg



Clubs successifs

France_8.png FC Solitaires (1993-1996)

France_8.png ES Colombes (1996-1997)

France_8.png Burel FC (1997-1998)

France_8.png US Endoume (1998-1999)

France_8.png Olympique de Marseille (1999-2001)

France_8.png ASOA Valence (2001-2002)

France_8.png Stade Malherbe de Caen (2002-2005)

France_8.png Stade Brestois 29 (2005-2012)

France_8.png LOSC (2012-2016)

France_8.png Gazélec Ajaccio (2016-2018)

France_8.png Tours FC (2018-2019)

France_8.png SO Cholet (2019-2020)

France_8.png FC Martigues (2020-2021)



langfr-1280px-Flag_of_the_Territorial_Collectivity_of_Martinique.svg_.png International martiniquais (7 sélections)



Vainqueur du Trophée UNFP de meilleur gardien de Ligue 2 en 2010